Pouquoi la politique budgétaire est actuellement bloquée dans le statu quo et ce que nous pouvons faire pour préparer les finances publiques à l’avenir
Dans son discours lors de la présentation du projet de budget pour 2023, la ministre des finances Yuriko Backes (DP) a essayé de se présenter comme une défenseure d’une politique budgétaire prudente, surtout en temps de crise.
Malgré cette bonne mise en scène, il n’en reste pas moins que le budget de l’Etat ne repose pas sur des bases entièrement stables. D’une part, avec la guerre en Ukraine et la situation économique tendue, nous traversons une période incertaine, aussi pour les finances publiques. D’autre part, nous faisons face à des défis domestiques qui sont connus depuis longtemps mais qui n’ont été abordés que très timidement, voire pas du tout.
Malgré les crises imprévisibles auxquelles le gouvernement a été confronté au cours de cette législature, il doit être jugé en fonction des accents de budgétaires et fiscaux qu’il a néanmoins mis en œuvre. Avec le dernier budget de cette législature, s’impose donc un premier bilan de la politique financière du gouvernement et en particulier des deux ministres des finances DP.
La réforme qui n’a pas eu lieu
L’État devrait enregistrer un déficit de 1,8 milliard en 2023. L’idée initiale d’une grande réforme fiscale où personne ne serait perdant restera donc, aussi pour les années à venir, probablement rien d’autre qu’une utopie.

Or, la nécessité de réformer le système fiscal est toujours aussi importante, compte tenu des injustices flagrantes de notre régime fiscal et de l’augmentation du risque de pauvreté. Le prochain gouvernement sera probablement aussi contraint à rééquilibrer le budget de l’État et de garantir les moyens financiers suffisants pour répondre aux énormes besoins d’investissement dans les infrastructures publiques.
Outre la réduction indispensable de la charge fiscale pour les citoyens aux revenus faibles et moyens, il s’agira donc avant tout de diversifier les recettes de l’État, par exemple via une réforme de l’imposition des plus-values immobilières. Le Conseil allemand des experts en économie a par ailleurs récemment plaidé pour une augmentation temporaire du taux d’imposition maximal pour les très hauts revenus. Dans la situation actuelle, de telles mesures auraient justement permis de financer au moins partiellement les dépenses liées à la crise.
En outre, les avantages fiscaux (aussi appelées dépenses fiscales) qui entraînent une perte de recettes fiscales pour l’État devraient être systématiquement analysés, évalués et adaptés. Une attention particulière devrait aussi être accordée aux subventions nuisibles au climat et à l’environnement.
Une place financière tournée vers l’avenir
La place financière représente environ un tiers de notre produit intérieur brut. La part du secteur financier dans les recettes de l’État est donc particulièrement élevée, puisqu’elle représente également environ un tiers des recettes. Cette forte dépendance de l’État vis-à-vis du secteur financier pourrait poser problème, par exemple en cas de crise financière.
Une place financière durable est donc indispensable et un débat public est nécessaire sur la manière dont nous pouvons préparer le secteur à l’avenir, notamment dans le sens d’investissements plus respectueux du climat.
Malheureusement, ce débat est torpillé par des forces conservatrices. Au lieu d’une discussion sérieuse sur l’avenir de la place financière, on s’indigne, comme on a pu le lire récemment dans un article commun des députés André Bauler (DP) et Laurent Mosar (CSV), dans un élan de patriotisme, des critiques venant de l’étranger selon lesquelles le Luxembourg continuerait à aider les entreprises à payer moins d’impôts. Le propos général étant que le Luxembourg fait tout ce qu’il faut et les critiques venant de l’étranger ne sont rien d’autre qu’une campagne de dénigrement négative.
Au lieu d’une discussion sérieuse sur l’avenir de la place financière, on s’indigne, comme on a pu le lire récemment dans un article commun des députés André Bauler (DP) et Laurent Mosar (CSV), dans un élan de patriotisme, des critiques venant de l’étranger selon lesquelles le Luxembourg continuerait à aider les entreprises à payer moins d’impôts.
Cette approche est problématique pour deux raisons. D’une part, elle ne correspond pas à la réalité. En effet, il y a toujours des entreprises qui s’installent au Luxembourg aussi pour des raisons fiscales, mais pas seulement, afin de payer moins d’impôts grâce à des montages compliqués. Dans ce contexte, il est contreproductif de refuser, comme l’a fait la ministre des finances, le contact avec la Commission du Parlement européen qui enquête sur les lacunes fiscales des États membres et qui s’est récemment rendue au Luxembourg. D’autres pays, qui font aussi régulièrement l’objet de critiques, comme les Pays-Bas, se montrent plus ouverts à ce sujet et se rendent ainsi moins vulnérables.
D’autre part, la représentation selon laquelle la Place luxembourgeoise est impeccable détourne l’attention de la question réellement importante, à savoir comment rendre le secteur plus durable. En effet, les investissements dans des produits respectueux du climat sont encore l’exception sur la place financière. Au Luxembourg, seuls environ 6% des investissements se trouvent actuellement dans des fonds ayant des objectifs spécifiques de durabilité. Une étude commandée par l’État sur la durabilité de la place financière n’a tout simplement pas été publiée, potentiellement en raison de ses résultats peu flatteurs.
Il faut conclure que les initiatives dans le domaine de la finance durable n’ont eu que peu d’effets jusqu’à présent. Dans le nouveau projet de budget pour 2023, il ressort que les dépenses pour le développement de la place financière doublent. Il reste à espérer que ces 12 millions d’euros supplémentaires ne soient pas uniquement destinés à de nouvelles campagnes publicitaires.
Pourtant, il y aurait moyen de faire progresser davantage la finance verte. Par exemple, l’État pourrait enfin mettre ses propres fonds en conformité avec les objectifs de l’accord de Paris sur le climat.
Vers une politique budgétaire ciblée
Si le budget de l’État est si important, c’est parce qu’il permet de fixer les priorités financières pour l’année à venir. C’est pourquoi les dépenses devraient également être évaluées en fonction de la réalisation ou non des objectifs fixés. Il s’agit d’évaluer l’efficacité des mesures et de garantir ainsi une politique budgétaire conforme aux objectifs. Malheureusement, cela ne se fait pas systématiquement aujourd’hui.
Parallèlement, on peut se demander si l’orientation politique du budget ne doit être mesurée que par des critères purement économiques. Malgré les promesses de mettre davantage l’accent sur d’autres indicateurs, le budget continue à se limiter à des indicateurs purement financiers, en premier lieu le PIB.
Les analyses du STATEC montrent que la hausse du PIB au Luxembourg n’est pas synonyme d’une meilleure qualité de vie et de bien-être pour la population. Alors que le PIB par habitant a augmenté d’environ 22% entre 2010 et 2020, le Luxembourg Index of Well-Being, un agrégat de 21 indicateurs différents, est resté quasiment inchangé.

Dans l’optique d’une politique budgétaire plus ciblée, il est donc grand temps d’intégrer le PIBien-être, ainsi que d’autres indicateurs plus complets, aux travaux relatifs au budget de l’État.
Plus de marge budgétaire
Face à la situation actuelle, les temps de politique financière insouciante semblent définitivement passés. Le prochain gouvernement risque lui aussi de ne disposer que de peu de marge de manœuvre financière pour des réformes de fond, surtout si des centaines de millions supplémentaires devaient être mobilisés suite à une troisième tranche indiciaire l’année prochaine afin de compenser les coûts supplémentaires pour les entreprises.
A cela s’ajoute le fait que les mesures pour freiner les prix énergétiques, au prix de quelque 600 millions d’euros, qui ont été décidées dans le cadre de la deuxième tripartite, expireront fin 2023. Compte tenu de la perspective que les prix de l’énergie resteront probablement élevés l’hiver prochain, il convient de travailler dès maintenant sur des mesures plus ciblées qui pourraient remplacer les mesures actuelles fin 2023 tout en réduisant la charge budgétaire.
Il s’agit de préparer les finances publiques pour l’avenir et de poser dès maintenant la fondation budgétaire pour une réforme fiscale approfondie, qui devrait être mise en œuvre le plus rapidement possible au cours de la prochaine législature. Ne pas suivre cette approche serait, pour reprendre les paroles de la ministre des finances, ni plus ni moins qu’un « hara-kiri » budgétaire.
Première publication: Luxemburger Wort, 10.12.2022 (en allemand)
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