Réflexions sur la pertinence et la mise en œuvre d’une éventuelle obligation vaccinale contre le coronavirus
Fatigué-e-s de la pandémie. Voilà l’état d’esprit dans lequel la plupart de nous se trouve actuellement. Mais après deux ans de turbulences pandémiques, la fin n’est toujours pas en vue. A cause du plus contagieux variant Omicron et du taux vaccinal toujours trop bas, les mesures sanitaires ont dû être resserrées à nouveau. Il y a quelques mois, il y avait encore de l’espoir que grâce au développement rapide des vaccins, le pire serait rapidement surmonté. Mais l’impatience initiale de la majorité pour se faire vacciner a entretemps été remplacée par une hésitation voire un refus d’une minorité toujours trop nombreuse.
Afin d’augmenter le taux vaccinal dans la population, le gouvernement a choisi de mettre la pression aux non-vacciné-e-s au lieu d’introduire des incitatifs positifs, une politique qui a été confirmée par la mise en place récente du régime 2G (vaccinés et guéris). L’on peut approuver ce choix ou pas, il est un fait que cette stratégie n’a jusqu’à présent pas mené au résultat attendu. Avec 70%, le taux de vaccination reste trop bas. En même temps, il semble que les responsables politiques n‘ont plus de nouvelles idées pour convaincre les non-vacciné-e-s de se faire vacciner.
Pas de liberté sans responsabilité
Cette situation aboutit à un débat de plus en plus intense autour de l’introduction éventuelle d’une vaccination obligatoire générale, qui est vue par certains comme la voie pour sortir de la pandémie. Le gouvernement veut prendre une décision sur le sujet mi-janvier. Le CSV s’est déjà positionné en faveur de l’obligation, cependant sans proposer des modalités de mise en œuvre.
Le CSV s’est déjà positionné en faveur de l’obligation, cependant sans proposer des modalités de mise en œuvre.
La vaccination est le meilleur moyen afin de réduire significativement le risque de peser sur les capacités du système de santé lors d’une infection. A l’aide des chiffres officiels, il est possible de calculer que le risque de devoir être soigné en soins intensifs lors d’une infection est cinq fois moins élevé pour les personnes vaccinées que pour les non vacciné-e-s. [1] Ici, l’on peut se poser la question pourquoi ce chiffre parlant n’est pas calculé et communiqué par le ministère de la Santé lui-même.
Par ailleurs, avec l‘introduction du régime 2G, le gouvernement a déjà mis en place de facto une vaccination obligatoire, puisque les non vacciné-e-s sont d’ores et déjà exclu-e-s en grande partie de la vie en société, alors qu’en principe, la vaccination reste jusqu’à présent facultative. Remplacer ces mesures par une obligation vaccinale reviendrait ainsi à une politique plus honnête. Au lieu de restreindre sur la base d’une décision volontaire, tout-e-s les citoyen-ne-s seraient obligé-e-s de se faire vacciner et donc traité-e-s de la même façon.
Malgré ces réflexions, beaucoup d’interrogations perdurent. D’un côté se pose la question de la mise en œuvre concrète d’une vaccination obligatoire. De l’autre côté se pose aussi la question plus fondamentale si une telle obligation peut réellement atteindre son objectif, à savoir augmenter sensiblement le taux vaccinal, ou si la mesure finirait par renforcer les clivages dans la société.
Mauvaise communication
Afin de trouver une réponse à cette dernière question, il faut se pencher sur les personnes qui, malgré toutes les mesures restrictives mises en place, ne se sont toujours pas vaccinés, ainsi que sur leurs motivations. En effet, il ne faut en aucun cas faire l’erreur d’assumer que les quelques centaines de manifestant-e-s incorrigibles et violent-e-s représenteraient toutes les personnes non-vaccinées.
Une étude de chercheurs de l’Université de Luxembourg montre que ce sont surtout la peur des effets secondaires et la peur que le vaccin n’ait pas été assez testé, qui mènent au scepticisme envers les vaccins.[1] De plus, l’étude montre que chez les personnes moins éduquées ainsi que les jeunes en-dessous de 30 ans, il existe un sentiment de ne pas être assez informé sur les vaccins contre le Covid et les vaccins en général.
L’étude montre aussi que le scepticisme envers les vaccins est plus fort dans certains groupes ethniques que dans d’autres. En effet, selon les chercheurs, ce scepticisme est p.ex. particulièrement prononcé auprès des personnes ayant des racines dans les pays de l’ex-Yougoslavie, ce qui coïncide avec les taux de vaccination bas de certains pays des Balkans. Par conséquent, les chercheurs recommandent d’aborder ces personnes dans leur langue maternelle, ce qui jusqu’à présent a été omis par les autorités de santé.
D’autres recherches en Allemagne arrivent à des conclusions similaires. Le niveau d’éducation et les barrières linguistiques sont souvent en corrélation avec des taux de vaccination bas. A cela s’ajoute qu’une partie de la population déçue du système politique n‘est plus prise en compte dans les sondages et études officiels.[2]
Les autorités de santé n’ont pas suffisamment réussi à s’adresser à des groupes spécifiques de la population afin d’y atténuer les peurs existantes.
Ces éléments montrent bien où la communication du ministère de la Santé a échoué jusqu’à présent. Les autorités n’ont pas suffisamment réussi à s’adresser à des groupes spécifiques de la population afin d’y atténuer les peurs existantes. A cela s’ajoutent une communication partiellement contradictoire, un manque de messages émotionnels et d’incitatifs positifs ainsi qu’une intensification tardive de la campagne de vaccination.
Il convient maintenant de mieux identifier les groupes qui renoncent toujours à la vaccination. Par la suite, il faut mettre en place une communication plus ciblée, tant au niveau de la forme qu’en ce qui concerne le contenu. L’on devrait essayer de s’adresser aux milieux concernés à l‘aide d’ « ambassadeurs » déjà fortement réseautés, en y thématiser les peurs présentes dans les groupes de population respectifs. En même temps, les barrières linguistiques doivent être surmontées en communiquant dans plus de langues. Et pourquoi pas envoyer des équipes d’information et de vaccination dans les entreprises et les quartiers aux taux de vaccination bas ? Dans le landBrême en Allemagne, cette stratégie a mené à un taux vaccinal de 83%.
Nouvelle désillusion déjà préprogrammée ?
Dans le contexte actuel, l’introduction d’une vaccination obligatoire peut paraître raisonnable. En tant que mesure isolée, elle ne résoudrait cependant pas le problème de la communication lacunaire de la part des autorités de santé. De même, l’obligation vaccinale n’apporterait pas de réponse aux peurs de celles et ceux qui jusqu’à présent ne se sont pas faits vacciner. Une obligation vaccinale devrait donc être incorporée dans une campagne d’information et de vaccination plus ciblée ayant comme objectif non seulement de contraindre par l’obligation, mais aussi de convaincre que la vaccination est en effet un devoir citoyen.
Le moment de l‘introduction est aussi décisif. Une obligation vaccinale n’est pas un moyen pour réduire à court-terme la charge sur le système de santé puisque sa mise en place nécessiterait du temps. De plus, l’introduction d’une telle obligation en plus des mesures 2G actuellement en place reviendrait à durcir davantage les restrictions pour les non-vacciné-e-s. Cela risquerait de mener à un durcissement des clivages existants sans pour autant aboutir à une augmentation substantielle du taux vaccinal. L’obligation vaccinale devrait donc seulement être mise en place à moyen-terme et de manière temporaire afin de remplacer les mesures existantes lorsque la situation sanitaire le permet. Ainsi, l’obligation vaccinale pourrait nous aider à nous préparer aux hivers prochains.
Une chose est certaine : mettre en place l’obligation vaccinale en pensant qu’il s’agit de la solution miracle qui permettra par elle seule une sortie rapide de la crise, c’est préprogrammer la prochaine désillusion de cette pandémie.
Finalement, il se pose aussi la question si, face au variant Omicron qui se répand très rapidement en ce moment, une obligation vaccinale sera toujours nécessaire. Nous devrions avoir une réponse à cette question au cours des prochains mois.
Une chose est certaine : mettre en place la vaccination obligatoire en pensant qu’il s’agit de la solution miracle qui permettra par elle seule une sortie rapide de la crise, c’est préprogrammer la prochaine désillusion de cette pandémie.
Première publication (en allemand): Luxemburger Wort, 08.01.2022
[1] Ministère de la Santé (2021) COVID-19: Rétrospective de la semaine du 27 décembre 2021 au 2 janvier 2022
[2] Anja K. Leist et al. (2021) Which Demographic and Socio-economic Factors are Associated with Vaccination Willingness and Beliefs Towards Vaccination?
[3] Katharina Menne & Ulrich Schnabel (2021) Streiten wir über die falschen?, Die Zeit, 16.12.2021
Photo by Adrià Crehuet Cano on Unsplash